1995

Un pan méconnu de l’histoire menant au référendum de 1995

En marge des nombreux articles consacrés au référendum sur la souveraineté du Québec tenu le 30 octobre 1995, permettez-moi de vous livrer quelques faits s’étant déroulés à cette époque.

Voilà près de 18 mois que l’accord du lac Meech a sombré. À l’Assemblée nationale, Jacques Parizeau a même tendu la main à Robert Bourassa, l’appelant « mon premier ministre » dans un discours mémorable. Les 36 membres de la Commission Bélanger-Campeau ont remis leur volumineux rapport entraînant l’adoption le 20 juin 1991 de la Loi sur le processus de détermination de l’avenir politique et constitutionnel du Québec. Celle-ci prévoit la tenue d’un référendum portant sur la souveraineté du Québec en 1992. Le 24 juin 1991, lors d’une marche clôturant le traditionnel défilé plusieurs centaines de milliers de gens manifestent en célébrant leur Fête nationale.

Nous sommes à la fin de 1991. Des partenaires sont réunis dans un hôtel de Dorval, ceux-ci, issus du mouvement syndical, des organisations nationalistes et du Parti québécois, se rencontrent afin de jeter les bases de leurs actions au cours de la prochaine année. J’assiste à cette rencontre.

Un peu avant cette rencontre, j’ai appris par l’un des vice-présidents de l’une des plus importantes firmes de sondage au Québec que le gouvernement fédéral leur a accordé un contrat de recherche portant sur la question nationale d’une valeur de près d’un demi-million de dollars. De quoi faire bien des sondages ! Aussi, suis-je abasourdi d’entendre lors de cette rencontre que le camp souverainiste, sous l’égide du PQ, n’a effectué que six groupes de discussion en vue de se préparer à l’année qui vient et que rien d’autre n’est prévu. Des groupes de discussion, c’est bien beau pour fouiller des pistes de recherche, mais de là à en tirer des conclusions pour l’ensemble de la population, il y a une marge… que semblent pourtant franchir allégrement les analystes du PQ.

Au sortir de cette rencontre, Pierre Noreau, alors directeur général du MNQ, et moi convenons de former un groupe de travail composé de chercheurs favorables à l’option souverainiste en recontactant d’abord ceux ayant participé aux travaux du comité thématique du PQ, formé une quinzaine d’années auparavant afin de réaliser des études sur l’opinion publique préparatoires à la tenue du premier référendum (voir le blogue intitulé « 1980 »). Aussi, je contacte la permanence du PQ afin que Michel Lepage toujours à leur emploi puisse participer à ce nouveau comité. La réponse me vient immédiatement : pas question pour celui-ci de faire partie de ce comité, ses services étant jugés sensibles ! Par contre, si nous voulions approcher une autre personne leur ayant offert ses services de sondeur et dont ils ne savent que faire, ça leur rendrait service et pourrait peut-être nous aider.

Le deuxième appel auprès d’Édouard Cloutier n’eut pas plus de succès. Déçu de son expérience lors du référendum de 1980, ce chercheur émérite déclina l’offre, mais m’invita à contacter l’un de ses anciens étudiants devenu professeur à l’Université de Sherbrooke avec lequel il s’apprêtait à publier un livre analysant l’état de l’opinion publique sur la question nationale.

J’eus plus de chance avec Pierre Drouilly qui accepta immédiatement.

Je contactai donc les personnes suggérées. Le premier, Jean Noiseux, qui avait approché le PQ pour leur offrir son expertise, se montra très vite intéressé par le projet. Le second, Jean-Herman Guay, accepta avec enthousiasme.

Ainsi j’ai été impliqué au sein d’une équipe de chercheurs qui au fil du temps a pris le nom de Groupe de recherche sur l’opinion publique (GROP). Qu’il me suffise de rappeler que si les études du GROP ont été fort utiles pour établir les stratégies de communication tant lors du référendum de 1992 que lors de la première élection du Bloc québécois en 1993, pour des raisons que je vais me garder d’expliciter ici, sinon par l’utilisation de l’expression « en prendre ombrage », les travaux du GROP à compter de l’élection québécoise de 1994 ont soigneusement été mis de côté par les apparatchiks du PQ.

Néanmoins en septembre 1994 au lendemain de cette élection ayant porté le PQ au pouvoir, le GROP faisait parvenir au nouveau conseiller spécial du prochain premier ministre, Jean-François Lisée, un texte dans lequel il pouvait lire ceci :

« les résultats de l’élection en termes de voix obtenues devraient inciter à la prudence les stratèges du nouveau gouvernement et leur éviter tout excès d’optimisme. Avec une question portant sur la souveraineté telle que formulée actuellement, le nouveau gouvernement peut espérer un grand maximum de 48 % des voix, plus vraisemblablement 46 %.[1] Un élargissement est donc nécessaire si nous récusons le scénario d’un référendum perdu. À mon avis, envisager un échec suivi d’un réenlignement politique soulève plus de difficultés liées à la démobilisation issue de la défaite, ainsi qu’à l’adoption conséquente par le ROC de la ligne dure à l’égard du Québec.

Cependant, dans l’ensemble, il faut constater que si l’on additionne les souverainistes dont le choix est définitif à ceux dont le choix peut changer, l’on obtient une proportion quasi égale à celle des seuls fédéralistes dont le choix est définitif. Il faudrait donc espérer que le camp du OUI ne perde aucun souverainiste mou et recueille l’adhésion d’un grand nombre de fédéralistes mous pour espérer remporter le référendum. Or, dans une campagne, on observe normalement un transfert s’opérant dans les deux sens.

Fait plus troublant, mis à part les souverainistes durs ou les PQ souverainistes, tous les autres groupes majoritairement sont d’avis de donner une autre chance à des négociations avec le reste du Canada pour le renouvellement du fédéralisme canadien : les souverainistes mous, les fédéralistes mous, les PADQ souverainistes, les PADQ fédéralistes, ainsi que les fédéralistes durs évidemment.

S’en suivait une plus longue analyse qui se concluait par cette proposition :

Un scénario…

À partir des engagements de M. Parizeau de donner au Québec un gouvernement représentant tous les secteurs de la population, de la volonté exprimée de faire appel à la solidarité consensuelle de tous dans l’élaboration des objectifs.

Déroulement

Poursuivant le travail laissé en plan par Bélanger-Campeau, le Gouvernement du Québec forme une commission parlementaire élargie représentant tous les secteurs de la société sous la présidence d’une personnalité comme Claude Béland, Nicole Pageau-Goyette ou Louise Roy afin qu’elle propose, après une large consultation, à l’Assemblée nationale un projet politique et constitutionnel qui serait soumis à l’approbation des citoyens dans un référendum et également présenté au ROC.

“Entre ce qu’un parti préconise et ce qu’un gouvernement propose, il y a de l’espace”. Le programme du PQ sert d’inspiration à la formulation d’un projet de règlement du dossier constitutionnel prenant pour assise la nécessaire souveraineté du Québec. Cette proposition provenant du Gouvernement du Québec est déposée à la commission qui l’utilise comme document de base afin d’entendre les prises de position, propositions de bonification, etc. en provenance de tous les secteurs de la population. L’exercice prend la forme de la recherche d’un vaste consensus des forces vives du Québec afin d’en venir à la formulation d’une proposition qui serait déposée comme base de négociation avec le ROC.

La recherche d’un large consensus aurait comme conséquence que forcément la proposition qui en émergerait élargirait le projet politique issu du PQ. Elle aurait sans doute deux volets :

  • une proposition d’ultimes négociations avec le ROC d’une plus large souveraineté du Québec à l’intérieur d’un Canada largement remanié qui inclurait probablement des éléments provenant tant du Rapport Allaire que des revendications traditionnelles (i.e. Statut particulier). Ce premier volet réclamerait du ROC le transfert de pouvoirs importants vers le Québec, la reconnaissance de sa souveraineté dans des secteurs jugés primordiaux. Ce projet s’inspirerait autant du projet de souveraineté politique que d’association confédérale.
  • En cas de fin de non-recevoir du ROC ou d’échec des négociations, un deuxième volet serait alors mis en œuvre : l’accession du Québec à sa pleine souveraineté en dehors du cadre canadien.

La Commission fixerait un échéancier de discussions avec le ROC pour en venir à des propositions soumises à leur population respective. L’échéancier ne devrait pas déborder le calendrier initial.  

Le référendum porterait sur le premier volet de la proposition CONSENSUELLE formulée par la Commission. La question pourrait inclure la mention du recours au deuxième volet en cas d’échec du premier. » [2]

Cette proposition semble avoir été rapidement  ignorée par les brillants conseillers au sein du cabinet du premier ministre, ceux-ci se faisant dire à l’automne que les appuis envers le « OUI » montaient de 3% par mois ! Tant et tant qu’à l’approche des Fêtes de décembre 1994, l’intendance péquiste avait décidé de miser sur un référendum hâtif se tenant au printemps!

La sortie d’un sondage en janvier 1995 commandé par Conseil de l’unité canadienne comportant 10 000 répondants et donnant au OUI 40 % d’intentions référendaires, suivi d’un second sondage, une semaine plus tard, réalisé pour le compte de la SRC/CBC et donnant les mêmes résultats aura alors refroidi passablement leurs ardeurs…

Le 14 février 1995, les membres du GROP présentaient les résultats d’un sondage commandité par le MNQ. Devant une trentaine de conseillers politiques toujours aux abois, ils confirmaient les résultats des deux coups de sonde du mois précédent, tout en révélant qu’en tenant compte de tous les gains potentiellement possibles, le OUI plafonnait néanmoins à 47 % et qu’il fallait donc changer de stratégie, prendre un virage, si nous ne voulions pas faire reculer le Québec.

Pierre Drouilly étoffant la première proposition faite en septembre 1994 rédigea alors un document plus substantiel[3] transmis en février-mars 1995  au cabinet du premier ministre de même qu’à plusieurs de ses ministres, ainsi qu’au cabinet de Lucien Bouchard.

Les analyses effectuées par le GROP suscitèrent l’intérêt des membres du cabinet du chef du BQ qui organisèrent en mars une rencontre avec des membres du GROP.

Aussi, lors de l’ouverture du congrès du Bloc québécois au début d’avril 1995, les conseillers politiques du BQ vinrent dire à Pierre Drouilly et à moi-même invités à ce congrès, s’être inspirés de nos échanges dans la préparation du discours d’ouverture de leur chef. Ainsi Lucien Bouchard au cours de ce discours énonça une version nettement adoucie du virage proposé, provoquant néanmoins la grogne de Jacques Parizeau qui n’entendait en rien modifier sa stratégie. Ce différend dura plusieurs semaines et nécessita la médiation de Bernard Landry pour se résoudre.

En mai 1995, le GROP ayant mené un second sondage, le rapport concluait en mentionnant que si les intentions référendaires favorables au OUI avaient progressé, un, elles n’atteignaient pas le seuil permettant de gagner le référendum et, deux, les répondants appelés « indécis » par certains, mais que nous dénommions « discrets » — ceux qui refusaient de répondre à la question référendaire ou disaient « ne pas savoir » — ne devaient pas être distribués au prorata de ceux qui avaient révélé leurs intentions référendaires, car les caractéristiques différaient significativement entre ces deux segments de répondants. C’est pourtant ce que la plupart des firmes de sondage faisaient à l’époque, comme CROP dans un sondage publié par LA PRESSE en juin 1995 affirmant que le OUI était en avance.

À la suite d’une réunion convoquée à la permanence du PQ avec Michel Lepage, Jean-Marc Léger et Jean Noiseux où le rapport écrit au nom des sondeurs donnait le feu vert pour la tenue d’un référendum, Jean Noiseux furieux dénonça vivement ce rapport dans une réplique transmise au bureau du premier ministre, se désolidarisant de celui-ci, nos propres analyses montrant que le NON l’emportait toujours. Inutile de dire que cette dissidence y fut très mal accueillie.

À partir de ce moment-là, le GROP fut définitivement mis au ban, ses membres retrouvant toutefois leur liberté de parole, car n’étant plus « mobilisés ». Pourtant, dans un ultime effort, Pierre Drouilly tenta de mettre en garde les dirigeants souverainistes les invitant à ne pas succomber à un « mirage » en écrivant un texte intitulé « Le problème des répondants discrets dans les sondages et l’anticipation du vote final ».[4]

Il le diffusa d’abord au sein du cercle étroit des membres du cabinet de Monsieur Parizeau, sans toutefois obtenir de réaction. Il l’élargit alors à d’autres intervenants souverainistes jusqu’à ce que Pierre O’Neill finisse par mettre la main dessus et en fasse état dans les pages du Devoir. La réponse du cabinet de Monsieur Parizeau à cette fuite fut brève, il ne s’agissait que d’un pelletage de nuages d’intellectuels… alors que celle du Conseil privé d’Ottawa fut de téléphoner à Pierre Drouilly pour lui demander une copie du document. Celui-ci ayant publié ce texte à titre de chercheur universitaire répondit qu’il pourrait leur transmettre une copie par la poste, ce à quoi il se fit répondre que c’était inutile car un émissaire irait chercher le texte le jour même chez lui, ce qui fut fait.

C’est à la suite de ces déconvenues que nous avons décidé de lancer un avertissement en écrivant un texte d’opinion intitulé « Une difficile course à obstacles » [5] qui fit la une de LA PRESSE, puis qui fut repris, la semaine suivante, par Le Devoir, The Gazette et The Globe and Mail… ce qui me valut plus qu’une déconvenue!

[1] « Si nous supposons être en mesure de conserver l’appui obtenu lors du scrutin, nous pouvons dans une estimation maximale espérer aller chercher environ le tiers du vote du PADQ. En additionnant ces nombres, un grand total de 48 % est envisageable. La réalité devrait se situer entre 43 % et ce nombre, ne serait-ce que parce qu’une fraction assez importante des sympathisants du PQ voterait eux contre la souveraineté. En bref, le solde des transferts d’appuis en provenance de sympathisants des différents partis ne nous serait pas nécessairement favorable. »

[2] Vous pouvez obtenir le texte complet via ce lien https://grop.ca/wp-content/uploads/2017/07/Strategie.pdf, mais les traitements de texte ayant passablement changé entre 1994 et aujourd’hui, la qualité du formatage en a été affectée par le passage de WordPerfect à Word.

[3] Voir https://grop.ca/wp-content/uploads/2017/07/consid%C3%A9rations.pdf

[4] Voir https://grop.ca/wp-content/uploads/2017/07/Discrets.pdf

[5] Voir https://grop.ca/wp-content/uploads/2017/07/QUATUOR.pdf

Article du Devoir du 30 septembre 1995, page A10

1980

La petite histoire, quarante ans plus tard, d’une question

Étudiant au chômage à la suite de la grève des professeurs de l’UQAM ayant débuté en septembre 1976, j’ai été embauché en février 1977 comme employé à la permanence nationale du Parti québécois où je me suis engagé à y rester jusqu’à la tenue du référendum… que j’espérais voir venir rapidement!

À l’été 1977, Pierre Renaud, patron de la permanence, me confia, en tant que chargé de projets, l’accompagnement du comité thématique récemment créé: composé d’universitaires et de membres influents du parti, ce comité avait pour mandat d’analyser l’opinion publique en vue de la préparation de la bataille référendaire. Faisaient partie de ce comité, entre autres personnalités, Pierre Harvey, Édouard Cloutier, Camille Bouchard, Pierre Drouilly et lui-même. L’existence du comité devait demeurer discrète et ses activités relativement secrètes. Il me proposait de mettre sur pied une « firme de sondage » qui servirait tant pour les enquêtes maisons réalisées par un autre nouveau venu à la permanence, Michel Lepage, mon voisin de bureau, que pour les recherches du comité thématique. Je devais assurer l’intendance pour tout ce qui concernait les études menées pour ce comité. Je connaissais et appréciais Pierre Drouilly ayant fait affaire avec lui pour l’utilisation de la banque de données électorales qu’il avait créée avec Henri Dravet quelques années plus tôt. C’est ainsi que s’est amorcée une incursion dans un domaine qui pris une importance beaucoup plus grande dans ma vie que j’aurais pu alors l’imaginer.

Il fallait donc tout organiser de l’enregistrement de la raison sociale à la production du matériel requis afin de réaliser une vaste enquête menée par une centaine d’intervieweurs auprès d’un millier de répondants francophones distribués sur tout le territoire québécois. Il fallait recruter et former ces intervieweurs, superviser et valider leur travail, recueillir les questionnaires, etc. Cette enquête fut donc menée à la manière du Gallup des tous débuts: par des entrevues au domicile des répondants, car le questionnaire étant passablement long, il aurait suscité trop de décrochage s’il avait été effectué par téléphone.

Deux résultats émergèrent de ce premier coup de sonde réalisé par le tout nouveau « Service de sondage du Québec », hormis le fait que nous avions encore des croûtes à manger si nous voulions nous retrouver dans la zone gagnante à l’issue d’un éventuel référendum. Le premier résultat concernait le vote des femmes, plus particulièrement de celles aux soins de la maison comme on le disait alors. À notre grande déconvenue, celles-ci n’appréciaient pas particulièrement l’une de leurs consœurs, Mme Lise Payette, mais elles étaient plutôt séduites par les politiciens que j’avais alors caricaturés comme ayant le « Oxford Look », soit M. Jacques Parizeau, M. Jacques-Yvan Morin, et leur benjamin, M. Pierre-Marc Johnson, ce dernier possédant en sus le double avantage d’être à la fois avocat et médecin, le rêve de toute maman canadienne-française!

Le second était fortement lié au précédent et montrait que l’appui à la souveraineté-association différait nettement chez les femmes entre celles qui étaient sur le marché du travail et celles dites « aux soins de la maison », les premières étant proportionnellement plus nombreuses à opter pour la souveraineté-association.

Devant de tels résultats, il fut convenu par le comité thématique de tenter d’aller un peu plus en profondeur que ce premier coup de sonde. Un sous-échantillon d’une centaine de répondantes appartenant à la catégorie des « ménagères » comme nous le disions aussi fut alors constitué afin que ces femmes soient rencontrées par une dizaine d’intervieweures lors d’entrevues semi-dirigées dont tout le déroulement était enregistré sur cassette, tout cela avec l’accord des participantes bien entendu. Ces entretiens se déroulèrent à l’automne 1977.

L’écoute et l’analyse des enregistrements prirent tout le temps de la période des Fêtes d’Édouard Cloutier et de moi-même. Les conclusions qui en ressortirent montraient clairement la forte appréhension des « ménagères » à l’endroit de la capacité du Québec d’être un État souverain. L’une d’entre elles disant une phrase qui me reste encore gravée en tête plus de 40 ans plus tard : « Lise Payette veut séparer le Québec comme elle s’est séparée d’avec son mari. » Ce qui résumait bien la peur de ces femmes, trop souvent dépendantes des revenus de leur conjoint, mais responsables du budget familial, dans la transposition qu’elles en faisaient au plan collectif, Ottawa jouant le rôle du pourvoyeur.

Les conclusions qui ressortaient de ces premières enquêtes montraient assez clairement les difficultés qu’il y aurait à convaincre au cours du premier mandat du gouvernement de René Lévesque une majorité de Québécois à donner leur appui lors d’un référendum sur la souveraineté-association. Pourtant, c’était bien l’engagement pris de tenir un tel référendum au cours du mandat suivant l’élection d’un gouvernement du Parti québécois. Il fut donc suggéré par le comité pour combattre ce sentiment d’aliénation et d’infériorité de miser dans la publicité gouvernementale sur la capacité des Québécois à réaliser de grands projets collectifs.

Dès le début de 1978, le comité thématique se remit au travail afin de préparer une deuxième grande enquête. Ce sondage fut mené auprès de 726 répondants francophones répartis sur tout le territoire québécois de la même manière qu’en 1977, soit en se rendant au domicile des répondants.

Deux questions figuraient dans ce sondage qui eurent par la suite une influence certaine sur le cours des événements. La première ne faisait qu’interroger les répondants sur leur intention référendaire à l’égard du projet de souveraineté-association et se formulait ainsi : « La souveraineté-association signifierait que le Québec devienne un pays souverain politiquement, mais associé économiquement au Canada. Si un référendum avait lieu aujourd’hui sur cette question, voteriez-vous pour ou contre la souveraineté-association? ». Les résultats indiquaient clairement que le camp du OUI ne pouvait espérer qu’environ 40% d’appuis, une fois les résultats pondérés en tenant compte de la très forte opposition des non-francophones (ce sondage n’interrogeant que des francophones donnait auprès de ceux-ci, 49,7%). La deuxième se lisait ainsi : « Si lors du référendum le gouvernement du Québec vous demandait plutôt de lui accorder un mandat pour négocier la souveraineté-association du Québec avec le reste du Canada, lui accorderiez-vous ce mandat?» (voir le document joint à la fin de ce texte).

Le résultat à cette seconde question donnait 66,4% auprès des francophones, ce qui une fois pondéré avec l’électorat non francophone se ramenait à environ 53%. Ce deuxième résultat mit évidemment du baume sur les appréhensions de certains membres du comité thématique proche du cabinet du premier ministre, ce qui fut loin de me rassurer. Au comité thématique, je fis remarquer que cette réponse, si elle était prise au pied de la lettre, risquait de nous jouer un bien vilain tour. Car, si elle avait pour objectif de désensibiliser une partie de l’électorat de ses craintes en regard de la souveraineté en donnant aux électeurs craintifs une deuxième occasion de se prononcer sur le résultat d’éventuelles négociations, elle risquait d’avoir peu d’effet dans le cadre d’une campagne référendaire où nos adversaires sortiraient toute la panoplie des peurs d’un « saut dans l’inconnu de la séparation ».

Un peu comme lorsqu’un thérapeute cherche à faire disparaître la phobie d’un patient ayant peur des chiens en désensibilisant ses frayeurs progressivement. Ça pourra fonctionner en clinique, disais-je à l’époque, seulement si le thérapeute contrôle toutes les variables de la situation, mais ça ne marchera pas du tout, si d’aucuns autour du patient cherchent à l’effrayer en criant au chien enragé. Or, la campagne référendaire risque plus de ressembler à ce deuxième cas de figure.

Inutile de dire que les avis du jeune étudiant en psychologie que j’étais ne pesaient pas lourd auprès des seniors du comité. C’est alors que je commis un acte jugé déloyal en m’ouvrant de mes craintes auprès de quelqu’un que j’avais bien connu dans l’entourage de Pierre-Marc Johnson, ce dernier ayant parrainé au printemps la campagne de financement dont j’assumais l’intendance, à savoir le président du conseil régional de Montréal-Centre, le Dr Marc Lavallée. Celui-ci souleva la question lors d’une réunion des présidents régionaux où René Lévesque était présent par un vendredi soir du printemps 1979. Dois-je préciser que dès le lundi suivant, l’on me retira le dossier, ayant été traité de « petit crosseur » entretemps par notre chef. C’est suite à cette mésaventure que je décidai de quitter la permanence du parti avant la campagne référendaire afin de ne pas avoir à y être associé autrement que comme militant. Ce qui ne se fit pas comme une lettre à la poste, car malgré mon incartade, les responsables politiques de celle-ci voulaient que j’y demeure comme agent de liaison pour les deux régions dont j’avais également la responsabilité. Mais, depuis le tout début, mon intention était de retourner à l’université afin de compléter mes études supérieures en éthologie et c’était l’occasion ou jamais. Ayant été admis au programme de deuxième cycle, j’ai donc quitté la permanence du PQ le jour de mon anniversaire en avril 1980 à quelques jours du déclenchement du premier référendum.

Aussi lorsque le libellé de la question référendaire fut rendu public à l’Assemblée nationale, j’en fus moins étonné que Jacques Parizeau.

Mince consolation, directeur de la campagne dans ma circonscription lors de ce référendum, j’eus le « bonheur » de gagner le « pool » de gageures sur le résultat de celui-ci, tombant pile dessus. Mais c’était sans grand mérite, car en pressentant déjà l’issue !

 

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